Un
vacarme de sirènes enfla bientôt. Autour de l’école, des ambulances et des
camions de pompiers affluaient. C’est que, avec le bruit incroyable de
l’éternuement du djinn et le toit envolé, on avait cru à un attentat
terroriste.
« Attention,
attention ! Place ! Place ! », criait une cohorte de
pompiers.
Ils
ouvrirent la porte et découvrirent des enfants sagement assis à leurs places,
le visage blanchi de poussière et les yeux effarés.
« Y a-t-il des blessés ?!, demanda,
inquiet, le capitaine des pompiers.
—
Il
y avait un méchant djinn, dit un enfant.
—
Il
s’est battu dans le ciel…, fit un autre.
—
Les
pauvres gosses, ils sont traumatisés… », marmonna-t-on.
L’après-midi même, dans un petit salon du
ministère, juste à côté du bureau du père d’Ayoub, des inspecteurs de la police
interrogèrent un à un les enfants. Ils voulaient savoir qui avait tenté de tuer
le fils du ministre de l’armée et de la police.
Chaque enfant entrait dans le salon, seul, sans
ses parents. Deux inspecteurs lui faisaient face. Sur le côté, le terrible père
d’Ayoub, monsieur Makani, supervisait l’interrogatoire.
Après avoir entendu quelques enfants, les
enquêteurs perdirent un peu leur calme parce que l’histoire de la gentille
maîtresse et du méchant djinn ne leur plaisait pas… Ils crièrent d’une terrible
façon pour faire peur aux enfants et leur faire avouer la vérité. Ils
envisagèrent que les enfants eussent été hypnotisés par leur maîtresse, ou du
moins convaincus de mentir. Alors, ce serait elle, l’agent terroriste. Un
attentat commis par une femme étrangère… La main des services secrets d’un pays
étranger… À quelques jours de l’anniversaire de la Révolution du Président ! Cela paraissait bien plus crédible
que toutes ces sornettes magiques. Peut-être la maîtresse portait-elle le
dispositif explosif sur elle et que c’est pour cela qu’elle avait disparu. Mais
l’absence de sang, l’absence de victimes… Ces détails de l’enquête demeuraient
incompréhensibles. Il fallait d’autres informations. Ils firent entrer un nouvel
enfant. Quand il commença à leur parler du djinn combattant une magicienne dans
le ciel, il reçut aussitôt quelques claques. Alors, il pleura beaucoup et ne
parvint plus à dire autre chose. Monsieur Makani s’agaça et prit lui-même le
garçon par le col avant de l’envoyer rouler dehors, dans le couloir.
Enfin, ils reçurent Ayoub. Il entra en serrant
bien fort contre lui son cartable. Il était encore sous le choc de la scène
inouïe qui s’était produite le matin même, au-dessus de la capitale. Son père
lui demanda ce qu’il avait vu, en précisant que maintenant il était à l’abri,
il ne craignait plus rien, il n’irait plus jamais à l’école, on lui donnerait
un maître privé, ainsi sa sécurité serait garantie…
Ayoub dit exactement la même chose que les
autres enfants, au grand désespoir de son père. Il expliqua toutes sortes de
bizarreries supplémentaires concernant son cartable dans lequel se serait caché
le djinn. Ces détails nouveaux et encore plus invraisemblables, sortis de la
bouche du propre fils du ministre, plongèrent ces hommes si sérieux dans une
gêne profonde.
Les enquêteurs s’étonnèrent à voix haute :
« C’est étrange que tu sois le seul à penser que ce… djinn… était dans ton cartable. »
Ils prirent le sac des mains d’Ayoub et
l’examinèrent soigneusement.
Les policiers croyaient en Dieu mais ne
croyaient pas aux esprits — qui sont pourtant des échos de Son pouvoir.
Le djinn caché dans le cartable d’Ayoub était d’ailleurs
un esprit maléfique d’une puissance et d’une astuce redoutables. Fereshteh la
magicienne, aussi douée fût-elle, n’avait pu le vaincre… Elle croyait l’avoir
affaibli avec sa poudre et l’avoir piégé dans la boîte en argent mais, en
réalité, il n’avait pas quitté le cartable du fils du ministre. Le tourbillon
magique était un simulacre, une diversion. Il avait bien fait de rester caché
et d’envoyer cette copie de lui-même car les météores de cette magicienne
l’auraient certainement anéanti. En y repensant, le djinn eut un petit frisson
de peur.
« Qu’est-ce que c’est ? J’ai vu un
truc bouger là-dedans ! », s’écria l’un des policiers, qui regardait
au même moment l’intérieur du sac.
Il retourna le cartable d’Ayoub et le secoua.
Des cahiers, une règle, une trousse et une ardoise tombèrent sur la moquette, une
ombre aussi, qui fila tout droit vers un autre abri : la serviette du père
d’Ayoub, monsieur le Ministre de l’armée et de la police.
« Non… J’ai dû rêver… », fit l’agent,
dépité.
Ayoub
retourna chez lui. Sa mère le retira de l’école et on lui donna un
précepteur particulier. C’était un homme cultivé et un peu ennuyeux qui s’occupait
de lui six heures par jour.
Lors
de l’anniversaire de la Révolution du
Président, le précepteur accompagna monsieur Makani et Ayoub au défilé
militaire. Sur la grande avenue de la capitale, des centaines de chars et de
camions lance-missiles roulaient au pas. À la tribune officielle, les grands
hommes d’État se succédaient pour faire des discours. Vint le tour de monsieur
Makani, ministre de l’Armée et de la Police.
Il
se posta devant une belle rangée de micros, sous l’œil des caméras du monde
entier et commença à délivrer son message : « Peuples du monde
entier, chers peuples qui attendez une ère nouvelle, qui espérez une
délivrance, une paix durable et bienfaisante, écoutez ! Écoutez ! Notre
parole est pure et dépouillée du mensonge car nous parlons devant Dieu. Écoutez !
Nous disons As salâm pour vous saluer,
ces mots sont des bons vœux de paix !
Islam, le nom lui-même de notre religion, veut dire la Paix ! … »
Et,
au moment même où le ministre de l’Armée prononçait, pour une seconde fois, le
mot « paix », toutes les rampes des camions lance-missiles se redressèrent,
et, dans un funeste et formidable feu d’artifice, toutes les fusées s’élevèrent
en rugissant, debout sur leurs longues flammes et leurs trainées de fumée noire.
Toutes les énormes fusées des camions et tous les missiles cachés dans tout le
pays s’échappèrent dans le ciel à la fois, se ruant sur d’autres pays paranoïaques,
parés pour une riposte immédiate et cataclysmique.
Depuis
la salle secrète du centre de commandement de l’Armée, le djinn du cartable poussait
un rire démesuré, hilare et furieux comme un Diable.
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Illustration pour la maquette de lance-missile "Scud" - Copyright Dragon Models |
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