dimanche 26 février 2017

Ce qui est arrivé sur la piste des Bois à Champagny-en-Vanoise

Avec Elodie et Irène, ma fille de deux ans et demi, nous avons logé durant ces vacances de février dans un studio à la montagne. C’était un séjour agréable et très économique, puisque nous occupions quasi gratis un appartement prêté par des amis, dans le village de Bozel.

Les vacances en famille sont tout à fait réjouissantes, mais j’avais gardé des vacances d’hiver de l’année précédente, à Aoste, un sentiment persistant de frustration: nous avions certes grimpé la montagne pour voir les skieurs et les pistes de luge ; je n’avais pas cependant accompli moi-même la moindre descente à ski. Là-haut, envieux, j’avais longuement contemplé les diverses techniques d’arrivée des patineurs, en chasse-neige ou en dérapage plus ou moins contrôlé, au bas d’une piste, et l’admirable façon qu’avaient les nacelles d’un télésiège à débrayage de cueillir des grappes de leurs fessiers multicolores, et je pouvais ressentir le délicieux abandon des sportifs à ces canapés suspendus accélérant et s’élevant déjà haut, survolant sans effort la blanche peau aux bourrelets potelés de neige.

Cette année, donc, je n’envisageais pas de subir une seconde fois la mortification de mon bonheur. Je réfléchissais aux circonstances qui me permettraient de laisser mon épouse et ma fille ensemble tandis que je m’adonnerais aux plaisirs égoïstes de la glissade.
Le mercredi, une possibilité s’offrait enfin : Elodie et Irène partiraient deux heures, le matin, à Champagny-le-Haut pour y faire de la luge et profiter de l’auberge, si accueillante, au pied des pistes de ski de fond.
On m’a déposé au village principal de Champagny ; on redescendrait me chercher, une fois mon caprice assouvi.

Il fallait toutefois que je loue des skis et que j’achète un forfait.
J’avais pris soin d’emporter mes chaussures de ski, car je n’apprécie pas l’idée de glisser mes pieds dans des chaussures de location presqu’encore humides des efforts du précédent client.

J’avise la boutique la plus visible et m’y engage, puis je piaffe d’impatience en attendant que l’unique employé eût chaussé tous les autres clients, alors que moi, je n’avais besoin que d’une bonne paire de planches, et deux bâtons.
Quand enfin est venu mon tour. Le vendeur ajustait donc mon matériel aux fixations : « quel poids vous faites ? — Soixante-sept kilos… » Je lui laisse le soin de régler la raideur, de toute façon, je n’ai pas prévu d’allumer, je vais y aller tranquillement, juste une petite balade de remise en jambes.
« Elles ont vécu, vos chaussures, y va falloir bientôt en changer.
   Ah oui, je les ai depuis quelques années, c’est vrai.
   Le plastique commence un peu à changer de couleur. »
En sortant de la boutique, j’ai retrouvé Elodie et Irène, attablées en terrasse, sous un grand soleil. J’ai fait part des réserves du loueur à ma compagne quant à mon vieux matériel, qui m’a demandé en retour :
« Tu es sûr que ça va aller ?
   Bof, de toute façon, je ne vais skier qu’une demi-journée cette année. J’en changerai plus tard… »
J’ai quitté là les deux étoiles de ma vie, en clopinant dans mes vieilles chaussures noires Nordica, et j’ai pris l’ascenseur qui menait au pied des remontées mécaniques et au guichet où l’on achète les forfaits.
Là, une file de personnages en combinaison (je dis « personnages » car il m’est difficile, projeté au côté d'humains en combinaison sans habituation préalable, de pleinement envisager leur humanité) attendait pour se procurer le pass Paradiski. J’ai fait la queue une bonne demi-heure, au côté de deux commerciaux gouailleurs qui échangeaient sur leurs conditions de travail. L’un d’eux, très bronzé, dont le visage me rappelait un peu Chandler Bing, dans Friends, moquait le manque de préparation de son compère, très falot, à la figure blanchie de crème solaire, qui ne savait pas utiliser l’appli pour recharger sa vieille carte d’accès aux remontées mécaniques grâce à son téléphone. Le type bronzé avait des mimiques narquoises qui faisaient clignoter dans ma mémoire des scènes de Chandler à l’acmé de sa confiance. J’ai échangé quelques paroles avec ces deux camarades de file d’attente, ma sociabilité soudain enflée par le plaisir proche de la descente à skis.
Je consultais, de temps en temps, ma montre, car le temps dont je disposais pour mon plaisir s’écoulait et je n’étais toujours pas en selle.
Enfin, je me suis trouvé devant la guichetière qui m’a indiqué qu’il n’y avait pas de tarif à la demi-journée. J’ai donc allongé trente-huit euros, pour une heure et demie de ski. Et, je n’ai pas pris d’assurance. Allons donc, j’allais juste faire une petite promenade de santé !

Quelques instants plus tard, la cabine du téléphérique m’emportait vers le sommet. Seul, presque debout au milieu d’une famille, dans un mikado de skis et de bâtons, le postérieur mal assuré sur le demi-banc surélevé de la cabine, je souriais, un peu gêné d’empêcher le cours habituel des conversations. J’ai tenté : « On est serré comme dans le métro… » Le père de famille a répondu : « Oui. Mais c’est mieux ici. » Et ce furent les derniers mots prononcés dans l’œuf.
Au dehors, je pouvais confirmer visuellement les prévisions des météorologues sur le réchauffement climatique : il n’y avait pas de neige hormis celle que les canons à neige entretenaient à longs souffles nocturnes ; tout ce versant de la montagne, exposé sud, sud-ouest, montrait ses prairies jaune ocre, avec quelques tapis blancs déjetés çà et là entre les piquets des pistes.
Parvenu là-haut, j’ai chaussé mes skis, resserré les crochets de mes bottes. Un petit craquement suspect s’est fait entendre, alors que j’ajustais l’une des attaches de ma chaussure droite. J’ai tiqué, disant au-dedans de moi : « non, ce n’est pas le moment, il suffit que vous teniez juste un peu plus d’une heure, petites chaussures… »

Enfin, je me suis élancé.
La neige était dure, après le gel de la nuit, et les six premiers virages m’ont rappelé qu’il faut bien ficher les carres dans la glace pour ne pas trop dévier de la trajectoire recherchée. J’avais presque oublié comme cette exigence d’effort et la dureté ressentie dans les membres peut s’avérer inconfortable.
J’avais accompli deux cent mètres quand, baissant les yeux sur ma chaussure droite, j’ai constaté une fissure nette, courant le bord extérieur du pied. J’ai eu un moment de préoccupation : veillons d’abord à arriver en bas, ne forçons plus, tout ira bien.
J’ai vu, quelques secondes, le haut de ma chaussure qui semblait se désolidariser du reste.
Or, brusquement, en phase d’appui, ma botte droite explosa en plusieurs morceaux, comme des feuilles de nougatine. J’ai chuté lourdement, basculant à plat ventre vers l’aval et, de là, considérant mon ski content et libre qui dévalait la pente en ligne directe, la semelle de ma chaussure encore accrochée à sa fixation et qui n’avait donc pas déclenché les deux crochets qui se fichent habituellement dans la neige quand on déchausse. Le ski glissait gaiement vers des filets derrière lesquels je devinais un précipice. Il passa sous les mailles et je ne le vis plus.
Atterré, je contemplais mon pied droit dans le magnifique chausson jaune fluo débarrassé de sa carapace de plastique noir.
Une appréhension se formait en moi, et l’étendue des épreuves encore à venir s’ébauchait dans mon cerveau étourdi par le choc. J’ai déchaussé le ski gauche et entrepris d’aller voir ce qu’il était advenu de mon ski fugitif (et de ma caution)…
Parvenu au filet de protection, j’ai découvert mon ski perché dans un arbuste. Un peu plus et il chutait au fond du ravin. En cet endroit ombragé, la neige demeurait profonde, et j’ai bien cru perdre plusieurs fois mon chausson dans la laborieuse expédition de récupération du matériel.

J’ai stationné quelques instants en bord de piste, à considérer les options qui s’offraient à moi : continuer la descente sur un ski, en espérant que l’autre chaussure tienne ou remonter la piste jusqu’aux œufs… Deux kilomètres deux cent de descente ou quatre cent, cinq cent mètres de montée.
Mon orgueil, mon émotion me disaient de descendre, ça se tente, tu sais quand même skier sur une jambe, non ? Peut-être aurais-je dû réfléchir plus longuement, ou laisser le temps à la raison de reprendre le dessus.
J’ai demandé, pour être certain, l’opinion d’un skieur qui s’était arrêté. Il a indiqué le télésiège, un peu plus haut sur la droite et m’a dit qu’il remontait vraiment plus haut que le télécabine, et par conséquent, il faudrait descendre, de toute façon ; il pensait qu’il était plus simple de continuer jusqu’en bas.
Il était aussi bête que moi. Du moins, son cerveau était tout autant programmé que moi par la pensée du skieur : il vaut toujours mieux descendre que monter, quel que soit le différentiel.
Remonter aux œufs : 400 m. Descendre la piste rouge jusqu’en bas : 2200 m. Environ 1/5. Voilà peut-être l’équation que j’aurais dû poser.

Sous mes yeux le panneau rouge indiquait « Les bois – 22 », et je repartis, un ski sous le bras, avec les encouragements de quelques skieurs goguenards.
La piste, étroite, serpentait entre les sapins. Elle commençait en pente relativement douce. J’ai accompli quelques mètres en équilibre sur le ski gauche, avant de pivoter et déraper pour contrôler. La jambe droite avait effectué de grands pas frénétiques pour compenser. Bon, une vingtaine de mètres.
De nombreuses fois, j’ai recommencé l’opération : je pivotais et j’alignais de nouveau le ski gauche dans le sens de la marche ; j’exécutais des demi-cercles de cinq à trente mètres. C’était épuisant et stressant. Le ski sous le bras me gênait terriblement ; il se balançait d’avant en arrière pendant mes évolutions acrobatiques. J’ai pensé si je tombe dessus, il va me briser une ou deux côtes.
Je ruminais le court dialogue avec la guichetière :
« Voulez-vous prendre une assurance ?
— Hahaha. Pour une demi-journée sans forcer ? Non, ce n’est vraiment pas la peine… »
Une personne s’est arrêtée et m’a demandé si j’avais besoin d’aide. Il insistait plus gentiment que les autres. C’était un type au visage franc et aimable. Je lui ai expliqué mon problème. Il m’a proposé de descendre mon ski inutile jusqu’en bas.

Alors, j’ai avisé le panneau « Les bois – 19 ». Et j’ai souri. Déjà trois cent mètres bouclés. C’était jouable.
Petit à petit, je prenais confiance, mais la piste s’avérait piégeuse. Les skieurs me frôlaient à grande vitesse, et mes muscles se crispaient.
Un demi-cercle sur le patin gauche ; encore un autre, allez, mec… Mon pied droit dans son chausson jaune fluo compensait en quelques appuis salvateurs.
« Les bois – 17 ».
En excès de confiance, j’ai pris un peu de vitesse. J’ai chuté en avant et je me suis pris un choc dans la poitrine.
Je me suis relevé et j’ai repris ma déambulation d’imbécile ; la peur et la fatigue prenaient possession de mon corps. Mes évolutions étaient moins sûres, mon pied jaune fluo bondissait maintenant comme un piston déglingué pour rattraper l’équilibre.

Heureusement, la piste présentait quelques « murs » plus pentus : il suffisait de déraper sur le ski gauche en aval. Ces parties de la descente s’avéraient certes plus confortables !
Au bout d’un moment, mon cerveau s’est anesthésié. Je répondais en riant aux personnes qui me demandaient si j’avais perdu un ski : « J’ai perdu un peu plus que mon ski ! » Et désignant mon ridicule chausson jaune fluo. Regards interrogatifs. « Ma chaussure a explosé ! »
« Nooon… Lol. », me répondit un adolescent.

À huit cent mètres de l’arrivée, l’autre chaussure a commencé à se fissurer à son tour. Je sentais la pression de la coque diminuer sensiblement autour de mon pied.
J’ai entrepris alors une lutte éreintante de contrôle, d’économie d’efforts portant sur le ski, jouant au maximum de l’amortissement des cuisses et des bâtons, et redoublant ma fatigue presque instantanément jusque dans les bras.
Enfin, ma jambe gauche s’est mise à trembler de fatigue ; j’ai envisagé de finir en marchant.
Il me restait cinq cent mètres de descente. J’ai détaché les fixations du ski et j’ai entamé la fin de ma « promenade », clopin-clopant, le ski sur l’épaule, bâtons dans une main.
Mais ma botte gauche, qui n’était plus maintenue entre les deux fixations et dont la structure présentait des fissures et une fragilité terminale, se mit à vaciller autour de mon pied. La coque de plastique se fragmentait. Ce fut comme les derniers moments de la vie d’un zombie, quand la chair putréfiée et les muscles anémiques ne suffisent plus à maintenir le corps ensemble : la partie supérieure, sur le cou-de-pied, se détacha, laissant voir au milieu de la chaussure noire le rectangle jaune du chausson ; en quelques pas, ma botte perdit encore d’autres morceaux dans la neige. Enfin, la semelle se brisa en deux ; et tout autour la coque s’effondra comme deux moitiés de scarabée. Puis, la partie supérieure autour de mon mollet se détacha mollement. Derrière moi, une constellation de morceaux noirs de plastique pourri formaient une piste macabre.

J’ai fini mon parcours rincé, un peu penaud, en chaussons jaunes, au milieu des skieurs qui soignaient leur arrivée : doubles dérapages consécutifs ; cent-quatre-vingt degrés et marche arrière en V ; arrêt sur la fesse-hanche et fou rire gloussé…

Et, sur les derniers mètres, je songeais à la dimension allégorique de mon épreuve : j’avais été prévenu plusieurs fois que mon matériel ne tiendrait pas (mes chaussures avaient vingt ans !), mais je n’en avais pas tenu compte ; en haut du télécabine, j’avais très bien entendu le craquement sinistre dans ma chaussure droite, et je n’avais pas rebroussé chemin ; et, alors même que mon appui droit était brisé, que je me retrouvais unijambiste, je m’étais encore laissé entraîner par le besoin de descendre, quand il m’aurait été si facile de remonter juste un peu. En ces instants de galère et de frustration, je ne serrais pas le poing, je ne proférais pas de juron, mes jambes étaient certes lourdes, et je me sentais agréablement flegmatique. 
Une terrasse et une bonne bière m’attendaient. Et ma fille et ma femme qui riraient bien de moi.

Nature morte aux crochets de chaussure de ski


jeudi 1 septembre 2016

Les Romans dans les tiroirs - 3 - Les Êtres de crystal, de Cyclomène Paillart (2011)



L’auteure

Née en 1994, Cyclomène Paillart a toujours vécu sous le signe de la fiction et du rêve, depuis les premiers albums cartonnés qu’elle dévorait et déchirait, bébé aux grands yeux verts étonnés, jusqu’à l’obtention, en 2015, de son DUT métiers du livre.
Son père baroudeur lui a donné le goût des ailleurs et des récits de voyage ; sa mère antillaise lui a apporté une attention inquiète aux événements surnaturels, aux présages et à tous les messages spirituels qui se manifestent dans notre ordinaire.
Cyclomène Paillart a commencé la rédaction de son roman Les Êtres de crystal (sic) au début de sa relation amoureuse avec Déborah Sanchez, une camarade du lycée François Couperin de Fontainebleau, inscrite comme elle en première L.

Son roman dans le tiroir

Les Êtres de crystal

Résumé :
Qui sont donc les ‘’êtres de crystal’’ qui fascinent tant Cylwélyn et Débéssyn, deux elfes très curieuses de la cité forestière Fontaine-aux-Bois ?
Les conteurs de la ville racontent des légendes captivantes sur ces personnages fantomatiques qui semblent appeler à l’aide dans une langue inconnue. Ils peuvent surgir n’importe où. On pressent leur apparition ; puis ils sont là, fragiles, presque transparents et de contours délicats, les yeux lumineux, pleins de questions angoissées qui se pressent sur leurs lèvres.
Cylwélyn et Débéssyn veulent les rencontrer. En dérobant un livre interdit dans la bibliothèque sacrée, elles apprennent que la plupart des apparitions de ces douces créatures ont été recensées à Parigyl, la ville inquiétante des ‘’renonceurs’’, ces elfes vaniteux qui, influencés par la civilisation des nains, ont abandonné la forêt pour s’adonner au travail industrieux et obtenir la richesse matérielle.
À Parigyl, nos deux héroïnes découvrent une société terrifiante où il faut accepter un servage humiliant pour pouvoir se nourrir. Elles sont un temps séparées, exploitées par des renonceurs sans vergogne mais elles parviennent à se rejoindre. Au moment de leurs retrouvailles, à l’instant même où leurs mains se croisent, deux êtres de cristal surgissent à leurs côtés. Deux êtres féminins. Les deux elfes cherchent à communiquer avec elles et finissent par apprendre que ces apparitions sont deux humaines qui vivent dans un monde parallèle appelé la Terre. Leur pureté et leur douceur sont menacées, c’est pourquoi elles ont atteint cet état fragile et transparent. Elles cherchent un monde où le bonheur existerait pour deux rêveuses, un monde d’où seraient bannies l’exploitation des autres, la cruauté et la violence, où la bienveillance, l’amour et la pratique des arts seraient la norme.
Unies par un même désir, les elfes fusionnent avec leurs doubles de cristal : Cylwélyn avec Cyclomène et Débéssyn avec Déborah. Elles deviennent des anges et accèdent au Monde Idéal.
Extrait :
« […] Cylwélyn ressentait chaque atome de Cyclomène pétillant sous sa peau et s’alliant aux siens. L’énergie dégagée par le processus d’assimilation causait une chaleur douce qui se propageait en ondes frémissantes dans son corps. Ses mains et celles de l’être de crystal, ensuite, se superposèrent et s’amalgamèrent dans une sensation de confort et de confiance complice.
Cylwélyn pouvait voir le corps nu de son amie Débéssyn et celui, translucide, de Déborah, se mélanger, et c’était comme si elle prenait lentement possession de son double aqueux ; elle y entrait, prudente et soulagée, comme dans un bain très chaud.
Enfin, les visages s’allièrent et, chaque visage se glissant derrière le masque de l’autre Soi, le monde sensible se déchira en deux moitiés, deux paupières : d’un côté le monde hideux des humains, de l’autre le monde pourrissant des elfes. Et, au milieu de ces sociétés condamnées, entropiques, s’ouvrait comme un œil vert et doré, parfait, le monde des anges, fait de sources charmantes et de forêts secrètes. »

Format

236 pages, réparties sur trois cahiers 21/29,7 de 92 pages.

Accueil critique

Les Êtres de crystal est resté plusieurs mois au secret dans le tiroir du bureau de Cyclomène. Quelques passages choisis, principalement des descriptions de lieux ou de personnages, ont été lus à la mère de l’auteure.
Le manuscrit a été révélé et confié solennellement à Déborah Sanchez pendant les grandes vacances 2011, pour qu’elle pense à elle, quand Cyclomène serait loin, à La Martinique, avec ses parents. La première lecture de Déborah s’est étalée sur trois jours, suivie plus tard d’une seconde et d’une troisième lecture qui ont donné lieu à une correspondance électronique prolixe, passionnée. Le manuscrit a ensuite été retourné à son auteure à la rentrée scolaire, enrichi de nombreuses notes, illustrations et messages d’amour et d’amitié éternelle.
Il est, depuis, tenu au secret dans la chambre d’enfant de Cyclomène, dans un petit coffre en étain verrouillé, tout en haut du placard à vêtements, derrière de vieux foulards. Son auteure ne l’a plus relu que par bribes, intimidée et émue par les défauts et les qualités de sa création : l’histoire trop prévisible, avec un contenu intime trop évident, et la sensualité frappante de nombreux passages. L’actuel compagnon de Cyclomène, un jeune libraire, ignore d’ailleurs totalement l’existence de ce roman, malgré les surnoms idiots qu’elle et son inénarrable copine Déborah continuent à se donner : ‘’Cylwé’’ et ‘’Débé’’.

Random art, fantasy wallpaper

mercredi 24 août 2016

Les Romans dans les tiroirs - 2 - GenEuropa, de Jean-Dominique Castaing



L’auteur

Quand Jean-Dominique Castaing, professeur d’Anglais dans un collège de centre-ville à Clermont-Ferrand, est parti à la retraite en 2013, le principal de son établissement, son adjoint, quelques inspecteurs pédagogiques et de nombreux responsables du rectorat ont cru que la faconde de ce syndicaliste confirmé (sous forme de nombreux mails électroniques ou de courriers avec accusé de réception) s’apaiserait et trouverait d’autres cibles que leurs méthodes, leurs organisations, leurs devoirs, leurs manquements, leurs dispositions à œuvrer ou non dans le ‘‘ bon sens ’’.
De fait, entré dans un nouveau cycle, ce prosateur fécond a rédigé des courriers aux groupes industriels les plus connus, à quelques députés particulièrement médiatisés, au Nouvel Observateur et à Télérama, au maire de Clermont-Ferrand, au groupe Écologie-Les Verts section Auvergne (courrier accompagné de sa carte d’adhérent) ainsi qu’à la direction du parc Vulcania (pour un différend concernant son petit-fils accusé de vol à la boutique du parc). Il a également soulagé sa plume sur les forums du Progrès et de Libération sous le pseudonyme TheOutCAST. Malgré toutes ces occupations, il n'a pas négligé de se rappeler régulièrement à son ancienne hiérarchie, en relayant au plus grand nombre les protestations de ses collègues.


Il est remarquable que Jean-Dominique Castaing n’a composé qu’un seul roman, tant son besoin d’écrire semble intarissable.

Son roman dans le tiroir

GenEuropa

Résumé :
Jean-Philippe est un jeune homme brillant qui n’a jamais pu s’épanouir à l’école tant notre système scolaire est modelé par la compétition et l’évaluation, et néglige la créativité et la liberté des élèves. Après avoir laborieusement obtenu un bac pro, parmi d’autres camarades en souffrance, rebelles à toute autorité et d’une violence significative entre eux, jeunes à la dérive, syndromes de notre incapacité à protéger les tempéraments les plus sensibles, Jean-Philippe s’inscrit à la fac, en langues étrangères appliquées et révèle soudain l’étendue de son talent. Il passe le concours d’entrée d’une grande école de management et se retrouve catapulté parmi l’élite. Un grand groupe international, GenEuropa repère son parcours atypique et l’intègre parmi une fournée de jeunes pousses prometteuses.
GenEuropa est une de ces compagnies puissantes et complexes qui regroupent plusieurs entreprises aux activités diverses : pharmacie, recherche médicale, technologie de pointe, aéronautique, armement, grande distribution et même groupe hôtelier et régie publicitaire.
En quelques mois, Jean-Philippe progresse rapidement dans l’estime de sa hiérarchie. Mais, après cette première phase d’intégration, survient le traditionnel don du sang, qui permet de mettre en évidence ’’ les valeurs d’humanité, de partage et de responsabilité qui animent le groupe GenEuropa ’’. Les nouveaux employés se montrent tous volontaires et fiers de participer à cette matinée d’action en faveur de la santé nationale, suivi d’une collation chaleureuse, décontractée, en présence du directoire du groupe et de son service communication. Au cours de cet agréable petit déjeuner, Jean-Philippe sympathise avec l’une des infirmières, Isabelle, et lui fait la cour. Tout le monde oublie bientôt ce petit événement. Pourtant, Jean-Philippe connaît de plus en plus d’obstacles dans son quotidien et, même, d’actes subreptices de malveillance. Son travail est régulièrement saboté, il se trouve mis en délicatesse par son chef qui le somme de donner des explications à des situations de plus en plus embarrassantes. Jean-Philippe est bientôt sur la sellette : les ressources humaines le convoquent pour lui remettre un dossier étayé de nombreuses prétendues fautes graves et atteintes au secret professionnel. On lui soumet un choix : soit il remet sa démission, soit il sera avili publiquement par le contenu de ce dossier. Il a une semaine pour se décider.
C’est alors qu’Isabelle l’infirmière avec laquelle il a entamé une timide relation amoureuse lui révèle un secret abominable : les dons du sang servent en réalité à dépister des anomalies génétiques ou des conditions de santé précaire, afin d’évacuer les individus fragiles, dont les problèmes entraîneraient des pertes financières pour GenEuropa. Ensemble, Jean-Philippe et Isabelle mènent l’enquête et tentent de déjouer les pièges du redoutable engrenage.
Extrait :
« Isabelle fronça les sourcils et tendit quelques feuillets à Jean-Philippe. ‘’ Lis si tu veux, dit-elle d’une voix détachée, quasi monocorde, ils ont établi jusqu’à la date de ta mort, ces salauds… ‘’
Jean-Philippe haussa les épaules et fourra sans y attarder un regard les preuves atterrantes de la duplicité de GenEuropa dans sa sacoche. »

Format

416 pages, Garamond 12, interligne simple.

Accueil critique

GenEuropa a été imprimé en quinze exemplaires, entre 2005 et 2008, sur la photocopieuse du collège où travaillait Jean-Dominique Castaing.
La plupart des exemplaires ont été bien reçus, feuilletés avec attention, voire lus avec intérêt, notamment par les camarades syndicalistes de l’auteur.
Corinne Gervais, du SNES, professeur d’histoire-géographie, a apprécié l’ouvrage et a ainsi raillé l’écrivain : ‘’c’est plutôt rafraîchissant de redécouvrir tes obsessions, intéressant même… la seconde partie m’a fait plaisir. Disons que cela m’a changé de tes critiques sur ma pédagogie. ‘’
Rémi Floche, de la CGT-Sud éducation, professeur de SVT, a mis en valeur le talent de son collègue : ‘’ C’est énorme ! Comment t’as fait ça ? Moi, je pourrais jamais écrire autant. Non, puis c’est vraiment bien chiadé, hein ! Tu peux être enfin fier d’un truc. C’est un thriller, digne des films américains. ’’
Les manuscrits envoyés aux éditeurs ont été retournés à Jean-Dominique Castaing. Tout laisse à penser que les lecteurs de ces maisons n’ont pas dépassé la lettre de présentation, très complète et circonstanciée, peut-être à cause des pages où l'auteur fustige le manque d’indépendance et de liberté des éditeurs français.