Les
"marronniers" envahissent les journaux, les magazines d'information. Il
n'y a plus que cela. Mais l'expression tire son origine du conte
suivant:
De chaque côté de la cour de récréation, ils étaient là, bien alignés : les marronniers ; quatre frères d’un côté, trois de l’autre.
De chaque côté de la cour de récréation, ils étaient là, bien alignés : les marronniers ; quatre frères d’un côté, trois de l’autre.
Ils avaient été
déracinés dans leur jeunesse, tirés de la profondeur et du secret des bois,
arrachés à leur terre et à leur famille, puis transplantés dans la cour d’un
collège en construction.
Et l’humus avait fait
place au bitume. Ces augustes messieurs d'écorce et de sève constatèrent avec effroi que leurs racines enserrées dans
une aire étroite disparaissaient sous une croûte semblait-il de lave noire.
Deux familles avaient été ainsi capturées et retenues prisonnières :
quatre arbres frères près du préau, trois autres devant le gymnase, à portée de
vue. C’est de la proximité de l'un ou de l'autre de ces bâtiments que les deux fratries tirèrent leur nom.
Les Du Gymnase étaient plus âgés que leurs
congénères Du Préau. Ils étaient
cependant moins nombreux. Face à face, les deux familles se défiaient du
regard. Au printemps, c’était à qui bourgeonnait le plus vite ; en
automne, c’était à qui roussissait le plus longtemps et perdait ses feuilles en
dernier. Une année passa, les Du Gymnase
avaient été les plus forts, ils avaient profité d’un meilleur ensoleillement.
Un beau jour
de septembre, ils virent soudain s’égayer autour d’eux une foule d’enfants
bruyants. Ils avaient vu pendant des mois les ouvriers s’activer, mais ces
enfants, c’était une découverte fabuleuse ! Sous leur regard habitué aux
profondeurs silencieuses, s’agitaient maintenant des créatures hors du commun !
Ces étranges petites bêtes couraient en tous sens, riaient, se frappaient et certaines
audacieuses grimpaient même dans les branches pour pouvoir s’asseoir sur le
bord du préau et de là y défier les surveillants. Les sept marronniers, sous
l’effet du vent et de la joie, firent frissonner leurs feuilles.
Jamais depuis
leur pousse, ils n’avaient eu spectacle plus intéressant. Quand le soir venait
et que les enfants quittaient le collège, leurs branches pendaient de dépit —
la tristesse se lisait dans leurs ramées. Mais alors, il y avait toujours un
arbre pour se vanter aux autres de ses nouveaux tatouages qu’un enfant avait
gravés au compas : « Urielle aime Farid », « Hakim, gros
enculer », etc.
D’un côté à
l’autre de la cour, s’aidant du vent pour donner de la voix, les deux fratries
se disputaient la préférence des enfants. Ce qui n’était que bénignes
vantardises s’envenima et, bientôt, les Du
Préau et les Du Gymnase se
vouèrent une haine féroce.
Or voilà que
revint l’été et sa longue solitude. Hébétés par la chaleur et l’inactivité
ambiante, ils se sentaient les feuilles gourdes. Au fond de leur cœur couvaient
la solitude, le regret des bois, la colère et le défi. Ces humeurs aigres
circulant dans leur sève firent pousser sur les branches des boules vertes
hérissées de pointes ; forclos en chaque capsule dentelée qu’on appelle bogue,
un fruit dur et obscur murit, d’un brun sombre, presque la couleur du sang,
concentré d’humeurs mauvaises, fruit du feu de violence, solide et d’une
douceur trompeuse, sensuelle — Aaah… Ouvrir une bogue de marronnier et en
extraire le marron enveloppé de peau moite.
À la rentrée
de septembre, les enfants découvrirent avec bonheur ces fruits de l'exaltation
maligne des marronniers.
D’avoir trop
mûri de ressentiments, une bogue épineuse chut sur la tête d’un élève ;
ce dernier bondit et glapit de douleur ; un long moment il considéra ce
qui l’avait si méchamment blessé — longue contemplation newtonienne — puis il
s’en saisit et tenta l’expérience sur une fille qui passait.
Ravis du
spectacle, les marronniers et les enfants s’entendirent sur un objectif
commun : que les munitions tombassent du ciel et que la guerre fût totale.
Les marronniers concentrèrent leurs humeurs pour que grossissent les bogues et
que s’aiguisassent les pointes ; les enfants s’aidèrent de bâtons pour
faire tomber ces précieux projectiles.
C’est ainsi
que les enfants établirent deux bandes : celle du préau et celle du gymnase,
chacune à proximité d’une fratrie de marronniers, chacune inféodée, pour ainsi
dire.
Les arbres,
tels d’augustes généraux, envoyaient la marmaille au front. Ils s’affrontaient
par procuration, comptant les bleus et les éborgnements de l’autre camp.
Et ils
s’affrontent encore, tous les automnes, et le feront jusqu’à leur mort, tant
que les enfants accepteront de jouer pour eux la chair à marrons.
![]() |
V. Van Gogh - Branches de marronnier en fleurs |
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire