lundi 18 août 2014

La seule et véridique origine de l'expression "marronnier"

Les "marronniers" envahissent les journaux, les magazines d'information. Il n'y a plus que cela. Mais l'expression tire son origine du conte suivant:

De chaque côté de la cour de récréation, ils étaient là, bien alignés : les marronniers ; quatre frères d’un côté, trois de l’autre.
Ils avaient été déracinés dans leur jeunesse, tirés de la profondeur et du secret des bois, arrachés à leur terre et à leur famille, puis transplantés dans la cour d’un collège en construction.
Et l’humus avait fait place au bitume. Ces augustes messieurs d'écorce et de sève constatèrent avec effroi que leurs racines enserrées dans une aire étroite disparaissaient sous une croûte semblait-il de lave noire.
Deux familles avaient été ainsi capturées et retenues prisonnières : quatre arbres frères près du préau, trois autres devant le gymnase, à portée de vue. C’est de la proximité de l'un ou de l'autre de ces bâtiments que les deux fratries tirèrent leur nom.
Les Du Gymnase étaient plus âgés que leurs congénères Du Préau. Ils étaient cependant moins nombreux. Face à face, les deux familles se défiaient du regard. Au printemps, c’était à qui bourgeonnait le plus vite ; en automne, c’était à qui roussissait le plus longtemps et perdait ses feuilles en dernier. Une année passa, les Du Gymnase avaient été les plus forts, ils avaient profité d’un meilleur ensoleillement.

Un beau jour de septembre, ils virent soudain s’égayer autour d’eux une foule d’enfants bruyants. Ils avaient vu pendant des mois les ouvriers s’activer, mais ces enfants, c’était une découverte fabuleuse ! Sous leur regard habitué aux profondeurs silencieuses, s’agitaient maintenant des créatures hors du commun ! Ces étranges petites bêtes couraient en tous sens, riaient, se frappaient et certaines audacieuses grimpaient même dans les branches pour pouvoir s’asseoir sur le bord du préau et de là y défier les surveillants. Les sept marronniers, sous l’effet du vent et de la joie, firent frissonner leurs feuilles.
Jamais depuis leur pousse, ils n’avaient eu spectacle plus intéressant. Quand le soir venait et que les enfants quittaient le collège, leurs branches pendaient de dépit — la tristesse se lisait dans leurs ramées. Mais alors, il y avait toujours un arbre pour se vanter aux autres de ses nouveaux tatouages qu’un enfant avait gravés au compas : « Urielle aime Farid », « Hakim, gros enculer », etc.
D’un côté à l’autre de la cour, s’aidant du vent pour donner de la voix, les deux fratries se disputaient la préférence des enfants. Ce qui n’était que bénignes vantardises s’envenima et, bientôt, les Du Préau et les Du Gymnase se vouèrent une haine féroce.

 Or voilà que revint l’été et sa longue solitude. Hébétés par la chaleur et l’inactivité ambiante, ils se sentaient les feuilles gourdes. Au fond de leur cœur couvaient la solitude, le regret des bois, la colère et le défi. Ces humeurs aigres circulant dans leur sève firent pousser sur les branches des boules vertes hérissées de pointes ; forclos en chaque capsule dentelée qu’on appelle bogue, un fruit dur et obscur murit, d’un brun sombre, presque la couleur du sang, concentré d’humeurs mauvaises, fruit du feu de violence, solide et d’une douceur trompeuse, sensuelle — Aaah… Ouvrir une bogue de marronnier et en extraire le marron enveloppé de peau moite.

À la rentrée de septembre, les enfants découvrirent avec bonheur ces fruits de l'exaltation maligne des marronniers.
D’avoir trop mûri de ressentiments, une bogue épineuse chut sur la tête d’un élève ; ce dernier bondit et glapit de douleur ; un long moment il considéra ce qui l’avait si méchamment blessé — longue contemplation newtonienne — puis il s’en saisit et tenta l’expérience sur une fille qui passait.
Ravis du spectacle, les marronniers et les enfants s’entendirent sur un objectif commun : que les munitions tombassent du ciel et que la guerre fût totale. Les marronniers concentrèrent leurs humeurs pour que grossissent les bogues et que s’aiguisassent les pointes ; les enfants s’aidèrent de bâtons pour faire tomber ces précieux projectiles.
C’est ainsi que les enfants établirent deux bandes : celle du préau et celle du gymnase, chacune à proximité d’une fratrie de marronniers, chacune inféodée, pour ainsi dire.
Les arbres, tels d’augustes généraux, envoyaient la marmaille au front. Ils s’affrontaient par procuration, comptant les bleus et les éborgnements de l’autre camp.

Et ils s’affrontent encore, tous les automnes, et le feront jusqu’à leur mort, tant que les enfants accepteront de jouer pour eux la chair à marrons.
V. Van Gogh - Branches de marronnier en fleurs

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