jeudi 1 septembre 2016

Les Romans dans les tiroirs - 3 - Les Êtres de crystal, de Cyclomène Paillart (2011)



L’auteure

Née en 1994, Cyclomène Paillart a toujours vécu sous le signe de la fiction et du rêve, depuis les premiers albums cartonnés qu’elle dévorait et déchirait, bébé aux grands yeux verts étonnés, jusqu’à l’obtention, en 2015, de son DUT métiers du livre.
Son père baroudeur lui a donné le goût des ailleurs et des récits de voyage ; sa mère antillaise lui a apporté une attention inquiète aux événements surnaturels, aux présages et à tous les messages spirituels qui se manifestent dans notre ordinaire.
Cyclomène Paillart a commencé la rédaction de son roman Les Êtres de crystal (sic) au début de sa relation amoureuse avec Déborah Sanchez, une camarade du lycée François Couperin de Fontainebleau, inscrite comme elle en première L.

Son roman dans le tiroir

Les Êtres de crystal

Résumé :
Qui sont donc les ‘’êtres de crystal’’ qui fascinent tant Cylwélyn et Débéssyn, deux elfes très curieuses de la cité forestière Fontaine-aux-Bois ?
Les conteurs de la ville racontent des légendes captivantes sur ces personnages fantomatiques qui semblent appeler à l’aide dans une langue inconnue. Ils peuvent surgir n’importe où. On pressent leur apparition ; puis ils sont là, fragiles, presque transparents et de contours délicats, les yeux lumineux, pleins de questions angoissées qui se pressent sur leurs lèvres.
Cylwélyn et Débéssyn veulent les rencontrer. En dérobant un livre interdit dans la bibliothèque sacrée, elles apprennent que la plupart des apparitions de ces douces créatures ont été recensées à Parigyl, la ville inquiétante des ‘’renonceurs’’, ces elfes vaniteux qui, influencés par la civilisation des nains, ont abandonné la forêt pour s’adonner au travail industrieux et obtenir la richesse matérielle.
À Parigyl, nos deux héroïnes découvrent une société terrifiante où il faut accepter un servage humiliant pour pouvoir se nourrir. Elles sont un temps séparées, exploitées par des renonceurs sans vergogne mais elles parviennent à se rejoindre. Au moment de leurs retrouvailles, à l’instant même où leurs mains se croisent, deux êtres de cristal surgissent à leurs côtés. Deux êtres féminins. Les deux elfes cherchent à communiquer avec elles et finissent par apprendre que ces apparitions sont deux humaines qui vivent dans un monde parallèle appelé la Terre. Leur pureté et leur douceur sont menacées, c’est pourquoi elles ont atteint cet état fragile et transparent. Elles cherchent un monde où le bonheur existerait pour deux rêveuses, un monde d’où seraient bannies l’exploitation des autres, la cruauté et la violence, où la bienveillance, l’amour et la pratique des arts seraient la norme.
Unies par un même désir, les elfes fusionnent avec leurs doubles de cristal : Cylwélyn avec Cyclomène et Débéssyn avec Déborah. Elles deviennent des anges et accèdent au Monde Idéal.
Extrait :
« […] Cylwélyn ressentait chaque atome de Cyclomène pétillant sous sa peau et s’alliant aux siens. L’énergie dégagée par le processus d’assimilation causait une chaleur douce qui se propageait en ondes frémissantes dans son corps. Ses mains et celles de l’être de crystal, ensuite, se superposèrent et s’amalgamèrent dans une sensation de confort et de confiance complice.
Cylwélyn pouvait voir le corps nu de son amie Débéssyn et celui, translucide, de Déborah, se mélanger, et c’était comme si elle prenait lentement possession de son double aqueux ; elle y entrait, prudente et soulagée, comme dans un bain très chaud.
Enfin, les visages s’allièrent et, chaque visage se glissant derrière le masque de l’autre Soi, le monde sensible se déchira en deux moitiés, deux paupières : d’un côté le monde hideux des humains, de l’autre le monde pourrissant des elfes. Et, au milieu de ces sociétés condamnées, entropiques, s’ouvrait comme un œil vert et doré, parfait, le monde des anges, fait de sources charmantes et de forêts secrètes. »

Format

236 pages, réparties sur trois cahiers 21/29,7 de 92 pages.

Accueil critique

Les Êtres de crystal est resté plusieurs mois au secret dans le tiroir du bureau de Cyclomène. Quelques passages choisis, principalement des descriptions de lieux ou de personnages, ont été lus à la mère de l’auteure.
Le manuscrit a été révélé et confié solennellement à Déborah Sanchez pendant les grandes vacances 2011, pour qu’elle pense à elle, quand Cyclomène serait loin, à La Martinique, avec ses parents. La première lecture de Déborah s’est étalée sur trois jours, suivie plus tard d’une seconde et d’une troisième lecture qui ont donné lieu à une correspondance électronique prolixe, passionnée. Le manuscrit a ensuite été retourné à son auteure à la rentrée scolaire, enrichi de nombreuses notes, illustrations et messages d’amour et d’amitié éternelle.
Il est, depuis, tenu au secret dans la chambre d’enfant de Cyclomène, dans un petit coffre en étain verrouillé, tout en haut du placard à vêtements, derrière de vieux foulards. Son auteure ne l’a plus relu que par bribes, intimidée et émue par les défauts et les qualités de sa création : l’histoire trop prévisible, avec un contenu intime trop évident, et la sensualité frappante de nombreux passages. L’actuel compagnon de Cyclomène, un jeune libraire, ignore d’ailleurs totalement l’existence de ce roman, malgré les surnoms idiots qu’elle et son inénarrable copine Déborah continuent à se donner : ‘’Cylwé’’ et ‘’Débé’’.

Random art, fantasy wallpaper

mercredi 24 août 2016

Les Romans dans les tiroirs - 2 - GenEuropa, de Jean-Dominique Castaing



L’auteur

Quand Jean-Dominique Castaing, professeur d’Anglais dans un collège de centre-ville à Clermont-Ferrand, est parti à la retraite en 2013, le principal de son établissement, son adjoint, quelques inspecteurs pédagogiques et de nombreux responsables du rectorat ont cru que la faconde de ce syndicaliste confirmé (sous forme de nombreux mails électroniques ou de courriers avec accusé de réception) s’apaiserait et trouverait d’autres cibles que leurs méthodes, leurs organisations, leurs devoirs, leurs manquements, leurs dispositions à œuvrer ou non dans le ‘‘ bon sens ’’.
De fait, entré dans un nouveau cycle, ce prosateur fécond a rédigé des courriers aux groupes industriels les plus connus, à quelques députés particulièrement médiatisés, au Nouvel Observateur et à Télérama, au maire de Clermont-Ferrand, au groupe Écologie-Les Verts section Auvergne (courrier accompagné de sa carte d’adhérent) ainsi qu’à la direction du parc Vulcania (pour un différend concernant son petit-fils accusé de vol à la boutique du parc). Il a également soulagé sa plume sur les forums du Progrès et de Libération sous le pseudonyme TheOutCAST. Malgré toutes ces occupations, il n'a pas négligé de se rappeler régulièrement à son ancienne hiérarchie, en relayant au plus grand nombre les protestations de ses collègues.


Il est remarquable que Jean-Dominique Castaing n’a composé qu’un seul roman, tant son besoin d’écrire semble intarissable.

Son roman dans le tiroir

GenEuropa

Résumé :
Jean-Philippe est un jeune homme brillant qui n’a jamais pu s’épanouir à l’école tant notre système scolaire est modelé par la compétition et l’évaluation, et néglige la créativité et la liberté des élèves. Après avoir laborieusement obtenu un bac pro, parmi d’autres camarades en souffrance, rebelles à toute autorité et d’une violence significative entre eux, jeunes à la dérive, syndromes de notre incapacité à protéger les tempéraments les plus sensibles, Jean-Philippe s’inscrit à la fac, en langues étrangères appliquées et révèle soudain l’étendue de son talent. Il passe le concours d’entrée d’une grande école de management et se retrouve catapulté parmi l’élite. Un grand groupe international, GenEuropa repère son parcours atypique et l’intègre parmi une fournée de jeunes pousses prometteuses.
GenEuropa est une de ces compagnies puissantes et complexes qui regroupent plusieurs entreprises aux activités diverses : pharmacie, recherche médicale, technologie de pointe, aéronautique, armement, grande distribution et même groupe hôtelier et régie publicitaire.
En quelques mois, Jean-Philippe progresse rapidement dans l’estime de sa hiérarchie. Mais, après cette première phase d’intégration, survient le traditionnel don du sang, qui permet de mettre en évidence ’’ les valeurs d’humanité, de partage et de responsabilité qui animent le groupe GenEuropa ’’. Les nouveaux employés se montrent tous volontaires et fiers de participer à cette matinée d’action en faveur de la santé nationale, suivi d’une collation chaleureuse, décontractée, en présence du directoire du groupe et de son service communication. Au cours de cet agréable petit déjeuner, Jean-Philippe sympathise avec l’une des infirmières, Isabelle, et lui fait la cour. Tout le monde oublie bientôt ce petit événement. Pourtant, Jean-Philippe connaît de plus en plus d’obstacles dans son quotidien et, même, d’actes subreptices de malveillance. Son travail est régulièrement saboté, il se trouve mis en délicatesse par son chef qui le somme de donner des explications à des situations de plus en plus embarrassantes. Jean-Philippe est bientôt sur la sellette : les ressources humaines le convoquent pour lui remettre un dossier étayé de nombreuses prétendues fautes graves et atteintes au secret professionnel. On lui soumet un choix : soit il remet sa démission, soit il sera avili publiquement par le contenu de ce dossier. Il a une semaine pour se décider.
C’est alors qu’Isabelle l’infirmière avec laquelle il a entamé une timide relation amoureuse lui révèle un secret abominable : les dons du sang servent en réalité à dépister des anomalies génétiques ou des conditions de santé précaire, afin d’évacuer les individus fragiles, dont les problèmes entraîneraient des pertes financières pour GenEuropa. Ensemble, Jean-Philippe et Isabelle mènent l’enquête et tentent de déjouer les pièges du redoutable engrenage.
Extrait :
« Isabelle fronça les sourcils et tendit quelques feuillets à Jean-Philippe. ‘’ Lis si tu veux, dit-elle d’une voix détachée, quasi monocorde, ils ont établi jusqu’à la date de ta mort, ces salauds… ‘’
Jean-Philippe haussa les épaules et fourra sans y attarder un regard les preuves atterrantes de la duplicité de GenEuropa dans sa sacoche. »

Format

416 pages, Garamond 12, interligne simple.

Accueil critique

GenEuropa a été imprimé en quinze exemplaires, entre 2005 et 2008, sur la photocopieuse du collège où travaillait Jean-Dominique Castaing.
La plupart des exemplaires ont été bien reçus, feuilletés avec attention, voire lus avec intérêt, notamment par les camarades syndicalistes de l’auteur.
Corinne Gervais, du SNES, professeur d’histoire-géographie, a apprécié l’ouvrage et a ainsi raillé l’écrivain : ‘’c’est plutôt rafraîchissant de redécouvrir tes obsessions, intéressant même… la seconde partie m’a fait plaisir. Disons que cela m’a changé de tes critiques sur ma pédagogie. ‘’
Rémi Floche, de la CGT-Sud éducation, professeur de SVT, a mis en valeur le talent de son collègue : ‘’ C’est énorme ! Comment t’as fait ça ? Moi, je pourrais jamais écrire autant. Non, puis c’est vraiment bien chiadé, hein ! Tu peux être enfin fier d’un truc. C’est un thriller, digne des films américains. ’’
Les manuscrits envoyés aux éditeurs ont été retournés à Jean-Dominique Castaing. Tout laisse à penser que les lecteurs de ces maisons n’ont pas dépassé la lettre de présentation, très complète et circonstanciée, peut-être à cause des pages où l'auteur fustige le manque d’indépendance et de liberté des éditeurs français.

lundi 22 août 2016

Les Romans dans les tiroirs - 1 - La Créature endormie, de Christophe Rosick



La Créature endormie, C. Rosick (2012)


L’auteur

Christophe Rosick est cadre juridique dans une grande entreprise. C’est un fringant divorcé, avec un fils sympathique mais fainéant, étudiant en sociologie. C’est un parisien de quarante-sept ans qui fréquente quasi quotidiennement la salle de sport Fit-Energy 8e. On remarque souvent sa belle crinière poivre et sel au restaurant L’Hippocampe car Christophe Rosick est un inconditionnel des plats à base de poulpe ou de coquilles Saint-Jacques. On le verra alors en bonne compagnie : soit avec Christelle ***, assistante aux ressources humaines dans la même entreprise que lui, soit avec Jeanne ***, mariée, qu’il entraîne dans une relation extra-conjugale incertaine.

Son roman dans le tiroir

La Créature endormie

Résumé :
Janice est une femme sublime, au faîte de la beauté accomplie. Elle sort d’une longue histoire sentimentale avec un ami du lycée. Arnaud n’était plus amoureux. Pour tout dire, il ne l’avait jamais vraiment été ; il préférait les hommes. Janice se console en reconnaissant que sa relation, si elle manquait de passion, lui a au moins permis de se consacrer à ses études et à son métier d’architecte qui ont occupé, comme chacun sait et s’imagine, la plupart de son temps.
Après sa rupture, elle sort son unique robe, qu’elle n’avait presque jamais mise, puis arpente Paris. Janice constate alors à quel point les hommes la désirent.
Mais si les hommes, éblouis par la beauté et l’intelligence de Janice, lui succombent immédiatement, leur amour semble s’évanouir très rapidement, comme par un maléfice. Ce que ses amants n’osent pas lui dire, et qu’elle apprendra trop tard, c’est qu’elle ronfle terriblement fort.

Extrait :
« Couchée sur le dos, les yeux clos, Janice paraissait à Stéphane encore plus parfaite. Sa forme sous le drap, voluptueuse. Ses épaules émergeaient, nues, d’une vague de tissu ; son grand cou arqué s’offrait au désir de l’embrasser ; son visage impérial et serein présentait tout son mystère féminin.
Sa poitrine s’enflait sous la respiration, qui se fit plus ample quand le sommeil s’approfondit. Un sifflement s’échappa du nez si délicat de Janice. Stéphane grimaça. Puis, le bruit inélégant de la respiration augmenta par degrés successifs. Et aboutit à un ronflement sonore, puissant, comme le grognement d’un ours.
Stéphane contemplait, désemparé, la déchéance du sublime, et sa chute dans l’immanence lui donnait le vertige, lui donnait une horrible nausée. Il se mit à pleurer comme un nouveau-né. »

Format

167 pages, Arial 12, interligne double.

Accueil critique

La Créature endormie a été rédigé entre 2011 et 2012, pour mettre à profit quelques insomnies liées au stress professionnel. Il est notable que Christophe R. avait entamé une relation amoureuse avec Jeanne l’année précédente et il est possible que cette femme ait inspiré le personnage de Janice. Le manuscrit n’a été imprimé qu’en 2015, après que son auteur a mentionné son existence à sa nouvelle maîtresse, Christelle ***, afin de le lui faire lire.
La Créature endormie a reçu un accueil décevant de Christelle ***, qui n’a pas cependant formulé de critiques formelles et a préféré s’en tenir à un avis évasif : « Ce n’est pas trop ma tasse de thé, ce genre d’histoire, cette femme… mais je trouve bien que tu aies cette impulsion d’écrire… C’est bien d’être créatif. »
Le manuscrit a ensuite été confié à Jeanne ***. Il est difficile de savoir si cette femme a réellement apprécié la valeur littéraire du roman car elle s’en est servi outrageusement contre son auteur, pour lui chercher querelle, et la dispute qui s’en est suivie a été la cause de leur rupture définitive.
Le manuscrit papier a été passé au broyeur par Christophe R., mais le disque dur de son ordinateur portable contient encore, dans le dossier ‘essai de roman’, La Créature endormie.
Odilon Redon - La Flamme (1896)