samedi 4 juillet 2015

Les Contes de Bibi-Gol - 3 - Les Deux filles du Vizir - Quatrième partie


Riza Abbasi - Jeune garçon à la coupe de vin
Yasmin, malgré ses airs de folle, m’avait fait de la peine. Je me baissai pour l’aider. Elle avisa le poignard que j’avais à la ceinture.
« Est-ce que tu vas me tuer avec ce couteau ? Je sais que tu me détestes…, dit-elle, le regard fureteur.
      Mais qu’est-ce que tu racontes ?
      Tout le monde me déteste… Ils disent que je suis une pourriediablesse.
      Ah ? »
Je m’apprêtais à lui prendre la main pour la relever quand elle prit une poignée de sable poussiéreux et me l’envoya dans les yeux.
« Pourquoi t’as fait ça ?!, m’écriai-je.
      Pour pas que tu me tues ! », ricana-t-elle comme une démente.
Le temps que je me frotte les yeux et que je reprenne mes esprits, elle se tenait à quelques pas et elle brandissait fièrement mon poignard.
« Je vais t’égorger, fit-elle.
      Pourquoi tu veux faire ça ?! », m’indignai-je.
Mais, soudain, cette petite fille ardente s’éteignit : ses épaules s’affaissèrent et se mirent à s’agiter de sanglots. Elle pleurait dans ses mains sales. J’étais très vivement impressionné. Elle était si vite passée d’un état à un autre ! Je m’approchai prudemment. Elle écarta ses mains de son visage ; il était maculé de sable et de pulpe de pêche.
« Est-ce que tu es un gentil garçon ?, me demanda-t-elle.
      Ça, par exemple… Hum, je ne suis pas méchant… », fis-je.
Cette réponse parut lui suffire. Elle s’avança et me prit d’autorité la main. Je sentis son contact collant et plein de sable.
Elle m’entraîna vers le verger où je découvris de nombreux arbres fruitiers. Elle me montra l’échelle et dit :
« Prends-nous des pêches. »
En digne chevalier servant, je ne me fis pas prier, d’autant que j’avais été, dans leur dispute, lésé de la pêche promise. Grimpé dans l’arbre, je décrochai deux pêches que je fourrai dans le bas de ma longue chemise. D’une main, je m’accrochais à l’échelle, l’autre main relevait le pan de tissu autour des fruits.
« Prends-en plus !, fit Yasmin.
      Attends, je sais pas si c’est une bonne idée…, dis-je piteusement.
      C’que tu es rabat-joie…, dit-elle, boudeuse.
      Eh bien t’as qu’à monter en prendre, toi.
      Non, je vais me faire gronder. »
Sa réplique me fit dresser les cheveux sur la nuque. Je n’avais pas du tout l’intention de me faire gronder à sa place, par des gens chez qui je devais paraître irréprochable.
« Je descends.
      Prends-en plus !
      Non.
      T’es pas gentil.
      C’est comme ça. »
Je lui tendis une pêche et conservai l’autre pour moi.
Je marchais derrière elle, tout en emplissant ma bouche du fruit juteux, dont le goût puissant me portait droit au paradis.
Nous marchâmes lentement, silencieux tant que dura notre régalade, vagant dans les allées fleuries.
Au bout d’un moment, nous parvînmes auprès de la plus grande cage à oiseaux que j’eusse jamais vue de ma vie. Dans cette cage où une dizaine d’acrobates auraient pu sans peine échafauder une pyramide humaine, s’ébattaient des quantités d’oiseaux multicolores qui produisaient un concert formidable de pépiements. Je crus entendre tout à coup dans ce magma sonore le son étouffé d’un galop de cheval. Je tournai la tête en tous sens. Yasmin rit et me montra du doigt un oiseau. Tout en haut de la volière, sur son perchoir royal, se tenait un mainate farceur. C’était lui qui avait fait cette drôle d’imitation.
« Viens, on rentre dans la cage, dit Yasmin.
      On a le droit ?
      Non, mais ça fait rien : c’est seulement Donya qui nous a interdit.
      Et alors ? Vous n’écoutez pas les conseils de Donya ?
      C’est pas notre mère.
      Si, dis-je. C’est l’épouse de votre père. C’est pareil.
      Tu es…, fit Yasmin en levant les yeux au ciel. Tu es chiant. »
Je ne m’attendais plus à cette agressivité. J’avais baissé ma garde.
« Viens, on rentre.
      Non.
      T’es chiant et… t’es un peureux.
      Je ne suis pas peureux. »
Pour lui montrer que la couardise n’avait pas atteint mon âme, je mis la main sur la porte de la cage. Yasmin comprit. Elle fit tourner la petite clé dans le loquet, ouvrit la première porte. Nous entrâmes dans ce vestibule. Elle referma la première porte puis ouvrit le loquet de la seconde porte.
Alors, nous fûmes au milieu des oiseaux. Les envols effarouchés autour de nous faisaient des tourbillons de rouge, de jaune, de vert et de bleu. L’odeur de fiente, douceâtre, et les fines poussières de plumes me firent tousser. Je levai la tête et vis la perspective vertigineuse des barreaux se rapprocher jusqu’à la voûte de la cage.
J’entendis le rire moqueur de Yasmin et tournai la tête dans sa direction. Elle était ressortie de la volière ! Elle avait fermé le loquet, puis avait verrouillé d’un tour de clé la cage à oiseaux.
« Cervelle de moineau ! Cervelle de moineau !, brailla-t-elle.
      Attends ! Fais pas ça ! Sors-moi de là, s’il te plaît ! »
Elle me tira la langue et s’enfuit en courant.
Autour de moi, je sentais l’affolement frémissant des oiseaux, leur peur de moi et leur colère. Le mainate fit un scandale : « Fioui ! Pas maintenant ! Pas maintenant ! » Des gorgebleus coururent autour de moi en poussant des petits cris féroces ; un bengali rouge fila comme une flèche sous mon nez en frôlant ma tête ; les trilles des mésanges s’augmentaient, se réunissaient, s’accumulaient. Le vacarme des oiseaux s’amplifiait toujours, atteignait une puissance douloureuse et il me semblait qu’ils complotaient furieusement de m’arracher les cheveux,  puis la peau des mains et du dos, avant de me picorer les yeux. Je me précipitai sur la porte au loquet et tentai de le crocheter à l’aveugle, mais je ne parvenais pas à en comprendre le mécanisme et la panique me faisait perdre mes moyens. « Au secours ! Au secours ! »

Après quelques instants, ma panique finit par refluer, les oiseaux retrouvèrent aussi leur calme. J’appelai de nouveau à l’aide et je vis alors Zarrin émerger d’une allée et se diriger tranquillement vers moi.
Elle ouvrit la première porte de la cage et s’approcha. Elle mit sa figure contre la seconde porte grillagée et, formant un cône de ses mains, me fit signe de bien tendre l’oreille. J’approchai ma figure de la sienne et elle me dit en chuchotant :
« Eh bien, pauvre Ali Abed… Je te sortirai de là si tu me montres ton oiseau. »
Je me reculai, surpris ; je ne saisissais pas bien l’objet de sa requête. Je réfléchis un temps puis je crus comprendre qu’elle mettait à l’épreuve mon sens esthétique. J’essayai d’imaginer quel pouvait bien être, parmi tous les spécimens de la cage, celui qu’elle affectionnait le plus. Enfin, avisant l’oiseau le plus extravagant — un long corps vert et bleu, avec quelques plumes noires mordorées et un bec jaune vif, une houppette rouge —, je le montrai du doigt et dis :
« Celui-ci ! »
Zarrin fit éclater un rire strident. Elle riait tellement qu’elle s’accrochait aux barreaux pour ne pas tomber. Des larmes perlaient à ses yeux. Entre deux hoquets, elle me dit :
« Eh bien, quel prétentieux ! »
Alors, avisant un tout petit oiseau noir qui chantait merveilleusement, je repris :
« Attends ! À dire vrai, je crois que c’est plutôt celui-ci ! »
Elle fut si surprise de ma répartie que ses yeux s’agrandirent démesurément. Puis elle s’effondra, suffoquée par le rire.
« Voilà… C’est… déjà… plus… réaliste… »
Elle finit par se remettre debout. Je n’étais toujours pas sorti de ma prison. Elle refit le même geste d’approcher mon oreille. Je m’exécutai comme un bon garçon.
« Je voulais parler de ton oiseau, celui qui chante quand tu lui fais souffler de l’eau dans une mare ou dans les buissons… »
Cette fois, après quelques instants de doute, je finis par comprendre la bizarre allusion. À Yazd, avec mes amis, nous désignions cette partie de notre anatomie par le mot courant doul ou par le mot plus enfantin : doudoul. Jamais nous n’aurions eu recours au genre d’image invraisemblable employé par ma cousine. Mais maintenant que j’avais déchiffré son langage, je ne comprenais pas mieux : pourquoi voulait-elle voir ça ? Ce n’est pas une chose très intéressante…
« Tu veux vraiment voir mon doul ? », dis-je.
Elle s’écarta brusquement, choquée, la main sur la bouche. Elle fit cependant un signe affirmatif. 
« Bon… Ça n’a pourtant rien d’extraordinaire… »
Je dénouai ma ceinture, baissai mon pantalon, puis remontai ma longue chemise.
Zarrin demeura interdite, ses yeux détaillant mon anatomie. Je me sentis très gêné d’une telle curiosité. Je remontai brusquement mon pantalon.
« Pourquoi voulais-tu voir mon… oiseau ?, fis-je.
    Mais… parce que nous, les filles… On n’a rien. »
Voilà qui me coupa le sifflet.
Je requis :
« Et maintenant, je t’ai montré ce que tu voulais… Tu veux bien me laisser sortir ? »
Elle me délivra.
« Ma sœur est une pourriediablesse, dit-elle. Je vais le dire à Donya, que ma soeur t’a enfermé dans la volière. Tu vas voir : elle va se faire bien laver et bien frotter ! Ah ! »
Je la suivais qui marchait d’un pas décidé vers le palais de ses parents. Je sentais la délivrance approcher : devant les adultes, mes cousines ne se permettraient plus ce comportement violent qui me mettait au supplice.
« Donya va battre Yasmine à cause de moi ?, m’inquiétai-je.
      Non… Donya est faible. Mais elle dira certainement à père ce que ma sœur a fait, et alors… la petite goûtera de la badine ! Hahaha !
      Mais ce n’est pas grave… Je… J’ai même pas eu peur.
      Ha ! Et si des oiseaux étaient morts de terreur, hein ? Ils ne te connaissaient pas ! Ils ont dû paniquer ! Des oiseaux si rares ! Et quel malheur s’ils étaient morts ! Ha ! Tu peux être sûr, la petite pourriediablesse va se faire bien battre… »

Elle jubilait à l’idée du supplice que recevrait sa petite sœur… Son refrain de satisfaction, son sourire mauvais me révoltaient. Je ne comprenais pas d’où venait leur violence.
« Où est votre maman ?, dis-je.
      Dans un trou.
      Oh, elle est montée au paradis ?
      Moi, je l’ai vue dans un trou, sous une grande pierre.
      Alors, si elle était bonne, elle est montée au ciel.
      Ils l’ont lavée et bien lavée et frottée, d’un côté puis de l’autre. Puis ils l’ont entourée plein de fois dans du tissu, puis on l’a mise dans un trou… »
Pendant que Zarrin me racontait cela, sa peau avait changé de couleur ; elle avait pris des teintes de glaise et s’était couverte de fines gouttelettes de sueur. Je n’osais plus rien dire.
« La pourriediablesse va se faire bien laver et bien frotter… »
Elle serrait les dents, en proie à une colère d’une violence inouïe.
Mais Yasmine nous coupa la route.
« Va-t’en !, dit Zarrin.
      Qu’est-ce que vous faites ?, fit Yasmine.
      On rentre à la maison, je vais dire que tu as enfermé Ali Abed dans la volière… Tu seras fouettée !
      Si tu dis ça, je dirai qu’il t’a montré son oiseau… C’est vous qui serez fouettés ! »
Mon cœur sombra dans une terreur folle. Je ne serais pas fouetté, je serais écorché vif !
Zarrin, elle, demeura quelques instants interdite. Trop intéressée par ce dont elle pouvait profiter de moi, elle n’avait pas songé que sa sœur eût pu se cacher pour nous espionner.
      Pourriediablesse ! Pourriediablesse !, hurla-t-elle, impuissante.
      Tu pourras rien dire, sinon je me vengerai ! Et même, tu pourras plus jamais ! Maintenant, ce sera toi la diablesse ! »


Je n’étais plus si pressé de retourner vers les adultes. Il fallait que mes deux cousines se réconcilient car je risquais d’y laisser ma peau. Je fus le plus parfait hypocrite : je dis que je m’étais drôlement bien amusé avec elles et que leurs jeux, s’ils m’avaient fait un peu peur, m’avaient aussi fait sourire intérieurement. Je fis toutes sortes de compliments sur leurs caractères qui n’étaient pas les caractères timides des filles de Yazd. Il me semble même que je croyais un peu à mes éloges galants. Nous pûmes jouer un peu tous les trois autour d’un bassin, à plonger nos pieds et à échanger de menues moqueries – je me laissais faire.
Je me laissais faire, ce qui les réjouissait, les accordait sur mon compte. Elles me pinçaient, me tiraient les cheveux. Yasmine me mordit le bras. Je me laissais faire, et j’avais dans le cœur un mélange de colère et d’abandon lascif.
Quand vint midi et que nous fûmes parvenus devant le grand hall à colonnades du palais, mes cousines se tenaient de chaque côté de moi, leurs visages avaient abandonné toute méchanceté, toute sournoiserie, et je portais mon regard incrédule de l’une à l’autre : elles composaient des mines sérieuses, indéchiffrables ; leurs visages portaient encore, affadie, cette lointaine lueur de malice ; j’étais encore un peu fâché contre elles, mais qu’elles me paraissaient belles ! — comme après l’orage la nature humide et rafraîchie, odorante et mobile, éclaboussée des rais de lumière qui percent les nuages, toute emplie d’une mystérieuse présence…

Personne ne fut grondé, j’avais agi en grand diplomate auprès de ces deux furies. Les adultes ne surent rien des disputes, de l’enfermement dans la volière et encore moins de la curiosité de Zarrin.
Le reste de la journée fut par ailleurs très ennuyeux, très protocolaire. Mon oncle recevait chez lui des courtisans et quelques marchands notables d’Ispahan. On me fit manger le déjeuner avec les hommes, parmi lesquels figuraient quelques grands garçons très sûrs d’eux. On échangea des ragots sur la vie de cour qui ne parvinrent pas à me passionner car je n’en connaissais pas les protagonistes. On fit de longs discours sur les besoins et nécessités de la ville et de ses alentours, sur les routes sûres et celles qu’il fallait rendre plus sûres. Les voix se firent dramatiques quand on évoqua l’empire et ses frontières… Mon professeur, mêlé à cette cour d’hommes, se montrait à la fois obséquieux et détaché. Je sentais que tout cela ne l’intéressait que modérément. Le repas s’éternisa une grande partie de l’après-midi.
Pendant tout ce temps, je me demandais ce que faisaient mes cousines. Mon corps était encore plein de douleur et de colère. Mais mon esprit, suavement, considérait leurs gestes souples et brusques, leurs voix abruptes, accusatrices, leurs visages énigmatiques et l’intérêt bizarre qu’elles me portaient...
Le soir vint.
Au moment de partir, je revis Donya, la belle épouse de mon cousin vizir. Elle était triste de me quitter.
« J’espère que nos filles ne t’ont pas embêté…, me dit-elle.
      Non, madame, mentis-je.
      Je ne sais pas comment m’y prendre avec elles. Je ne parviens pas à les gronder, même lorsqu’elles font les pires bêtises. J’essaie même de les protéger des châtiments physiques… pourtant, elles ne remercient jamais. Oh, Ali Abed, toi, tu as l’air différent de tous les enfants que je connais. Si Dieu, Loué soit-il !, le veut bien, j’aimerais tant qu’il me donne un fils comme toi…
      Madame, sur mon âme peinée de ce départ, vos compliments apportent le réconfort comme les bonnes pêches juteuses de votre verger. »
Donya me prit dans ses bras et son corps parfumé me transmit une tendresse que je n’ai jamais oubliée.
Elle me dit :
« Ressens-tu le poids de ce que je t’ai donné ? Je le sens retranché de mon corps, il s’est ajouté à toi. Désormais, mes pensées t’accompagnent, gentil Ali Abed. »
Puis elle me donna une feuille sur laquelle elle avait rédigé un poème.
Devant la madrasa Soltani où je m’apprêtais à m’instruire une année entière, mon esprit était obsédé de deux choses : le poème composé pour moi par Donya et l’étrange matinée que j’avais passée avec mes cousines. J’étais presque indifférent aux apprentissages qui m’attendaient, à peine soucieux à l’idée que je devrais rencontrer de nouveaux maîtres, certainement plus sévères. Donya m’écrivait ceci :

Ali Abed aux yeux de cerf
       Contemple le monde avec patience ;
Sa pensée sonde les mystères ;
       Je veux retrouver l’innocence !

L’enfant grandit, deviendra homme.
       Il forcira, durcira, son regard s’étrécira comme
Les épées fines et coupantes, mais… je t’en supplie,
       Que ce cœur-là reste le même et qu’il plie
Devant l’énergie des filles et la douceur des mères,
       Oh ! Qu’Ali Abed demeure le songeur aux calmes paupières.

Je peux dire que ce poème de Donya s’inscrivit en moi et que désormais je fus l’enfant le plus doux, le plus patient, le plus curieux aussi. Je reçus à la madrasa Soltani les bases d’une éducation musulmane classique ;  mais je tempérais toujours ce que les maîtres disaient sur la vicieuse brûlure des femmes à la fraîcheur du poème de Donya. J’étais un élève si brillant que Khorshid écrivit à mes parents pour requérir l’autorisation de me scolariser indéfiniment à Ispahan.
Les années passaient, je m’instruisais. Mon envie de savoir semblait inextinguible. Je crois que j’épuisais les mollahs.
Parfois, je retournais brièvement à Yazd. J’y retrouvais des amis, des cousins. Mais, hormis Abed Salem, dont j’ai fait mention plus tôt, mes liens d’affection s’atténuaient. Mon père et ma mère espéraient faire de moi un prestigieux khan de Yazd. Ils regrettaient que je m’intéresse plus à la théologie et aux sciences qu’à l’étude de la loi…
Je revis mes cousines Zarrin et Yasmine, mais je n’eus plus le loisir de souffrir leur agressive pétulance car, avec l’âge, nous étions sans cesse entourés d’adultes, et bientôt d’ailleurs je n’eus plus le droit de les fréquenter.
On fit épouser, à l’âge de quatorze ans, Zarrin au jeune fils d’un autre vizir du Shah. Yasmine fut mariée un peu plus tard, à treize ans, avec un homme plus âgé, mais celui-ci ne supporta pas la mariée davantage que la première nuit de noces : il la répudia triplement dès le lendemain.
Ma petite cousine était désormais, de notoriété publique, une jeune femme indésirable.
Après quelque temps, Donya prit contact avec ma mère et échafauda de me proposer d’épouser Yasmine. Considérant la réputation de Yasmine, mes parents n’y étaient pas vraiment favorables, mais ils voyaient d’un bon œil le rapprochement avec cette branche puissante de notre famille. Quant à moi, je ne pouvais pas résister à une si grande requête de Donya.
Le mariage se fit.


Maintenant, je ne sais si je dois l’avouer avec honte… Il m’est arrivé, il m’arrive encore de me faire un peu battre par mon extravagante épouse. Pour autant, je crois que chaque coup que mon échine a reçu était mérité. Jamais Yasmine ne me frappe sans raison. Quant à moi, je ne la frappe pas. J’aime ses taquineries, j’aime son regard dénué de l’hypocrisie si commune en ce monde.
Je suis le nouveau gouverneur de Yazd. Mes savoirs philosophiques et techniques me sont très profitables. Je continue à composer des poèmes et je me suis attelé à la maîtrise de la peinture. Les notables de Yazd disent que Yasmine me domine, mais ils devraient plutôt lui en savoir gré, car qui sait quelles cruautés j’ai enfouies dans mon cœur, qui peut savoir toutes les horreurs que mon imagination aurait pu me faire réaliser, qui peut savoir qui j’aurais pu être, dans d’autres circonstances, avec d’autres guides ?
Un jour, peut-être, j’ouvrirai à ces sires cauteleux, à ces marchands égoïstes et à tous les fourbes médisants de Yazd mon cabinet de peinture, et ils verront, en miniature, toute la violence, toute la cruauté que j’ai, à force de volonté, détachée de mon âme. Ils verront que la férocité, la brutalité d’Ali Abed Khan aurait pu égaler celles de nos plus illustres tyrans : Timour Leng et Gengis Khan.
Et je clos ces mémoires en vous livrant le conte très impressionnant que Yasmine me fit lors de notre première nuit de noces :

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