jeudi 28 août 2008

Ce qu'il m'arriva en bord de mer avec des animaux

Cette série de récits de désagréments, entamée avec l'épisode de la baignoire sabot, n'aura, je l'espère, pas trop de développements ultérieurs. Avec ce second épisode, le lecteur est néanmoins assuré d'une unité de propos : ce sont des récits d'événements réels à caractère picaresque survenus à ma personne, souvent mortifiants mais bénins, douloureux et à caractère sexuel périphérique ou direct. Pas de menteries : des faits avérés, même s'ils sont parfois difficiles à croire.

Or voilà que j'étais parti un été, en compagnie d'amis, en Vendée. J'étais jeune et nouvellement indépendant, preste et encore un peu ignorant.
Aux Sables d'Olonne, il y a cette jolie plage de sable et de récifs, bordée de dunes, nommée la Paracou. L'océan y est à son aise, vif, souvent tumultueux. Son nom Paracou évoque presque explicitement le caractère changeant de ses eaux. C'est aussi une invite au voyage. C'est un nom qui convoque à l'esprit l'Amérique latine par ses sonorités andines. On se rend à cette plage à partir de La Chaume, un village de pêcheurs transformé par le tourisme balnéaire. Cette plage du Paracou, par cercles successifs de l'imagination, peut vous transporter en tous lieux. Il suffit de s'étendre sur le ventre, sur le sable chaud et écouter les vagues, écouter le flux et le reflux de l'eau, le frottement du sable, le mouvement terrestre, la vie sans la vie, la seule vie physique, qui existait avant même la vie.
Peu avant d'être ainsi étendu sur le sable dans une contemplation cosmique, j'étais avec mes amis à jouer dans les vagues. C'étaient d'énormes vagues ! De celles qui vous font douter de vos forces, de celles qui vous font goûter l'émotion fabuleuse : joie, inquiétude, sensations de propulsion, situations comiques, tout cela ! Vos amis répondent à vos cris, puissants instants de bonheur. Vous tombez dans les bras de votre aimée ; vous vous pincez le nez d'une main, tenant la main de votre compagne de l'autre, et vous plongez pour éviter une terrible déferlante. Cela dure des heures et puis vous commencez à grelotter. Il est temps de quitter l'eau et de s'étendre sous le soleil de juillet.
Allongé sur le ventre, je suis tiré de mes pensées alternativement cosmiques et nostalgiques par une sensation brève, dans mon bermuda de bain, très exactement dans le haut de la raie de mes fesses, comme un coup de langue, ou peut-être comme un cordon du bermuda, encore humide, qui aurait glissé par là et aurait bougé par l'effet d'un mouvement connexe : une impression plutôt agréable mais trop rapide, presque frustrante.
Comme une impression rêvée... Parfaitement éveillé maintenant, je tire de mon sac de plage un livre, peut-être Le Gitan, d'Eugène Sue, en tout cas très certainement un roman maritime pittoresque, et entreprends sa lecture.
Mais une surprise me tire de ma lecture : dans la raie de mes fesses, je sens de nouveau le petit coup de langue, qui me fait sursauter cette fois : je n'ai pas le souvenir d'avoir bougé, ce qui eût pu entraîner un mouvement de cordon. Pudique, je n'ose plonger ma main dans mon bermuda devant la foule de plagistes, ce serait du dernier vulgaire ! Mais voilà qu'à la manifestation brève et délicieuse survenue dans cette zone intime, succèdent des palpitations inquiétantes et voluptueuses à la fois. Mon imagination s'emballe, cherchant à subsumer (1) à ces manifestations une explication rassurante !
Il me faut mettre un terme à cet emballement de l'inquiétude ! Las, il va falloir me résigner à plonger disgracieusement ma main dans mon bermuda... Profitant d'un non événement typique de l'animation des plages, un enfant qui tombe le nez dans son château de gouttes de gadoue, le dévoilement de seins énormes par une de ces vénus grasses qui enroulent leur maillot de bain multicolore autour de leur corps élastique, le ballet amoureux de jeunes émoustillés, que sais-je, je m'emploie discrètement à résoudre l'énigme de mon animation postérieure. Mes doigts partent en reconnaissance et constatent avec une surprise mêlée d'appréhension la présence d'un corps étranger entre mes globes fessiers ; ils se saisissent, à deux, de ce corps étranger remuant et l'extraient des ténèbres pour le porter à mes yeux...
C'était un énorme frelon, à demi noyé, en train de reprendre ses esprits dans l'inconfort de mon fondement. Il devait avoir folâtré près de la crête des vagues, s'être laissé griser à son jeu et avoir pris le bain jusqu'en cet endroit improbable.
Jetant au loin la bête venimeuse, j'ai poussé un cri d'effroi qui a fait bondir tous mes amis ; je frissonnai à m'imaginer l'impact de son dard sur mon coccyx...

Je ne sais si cet épisode fit de moi un héros aux yeux de mes amis ou s'ils me considérèrent avec un regard renouvelé, un peu narquois. Ce fut en tout cas un de ces épisodes qui prend, à votre corps défendant, des dimensions mythiques. Mais il fallait parachever cet épisode pour lui donner un sens plus profond, l'ancrer dans l'imaginaire collectif de mes amis et l'inscrire dans ma chair. Car sans la piqûre, l'événement était incomplet.

Quelques jours plus tard, donc, nullement échaudé par cette mésaventure, je m'égayais de nouveau dans les vagues tonitruantes, cherchant le meilleur moyen de surfer avec mon seul corps la masse mouvante et mousseuse de l'eau. Je m'avançai au pied des vagues, à l'endroit où elles atteignent le seuil de leur déferlement. Mon corps n'était plus que tension, volupté violente de la submersion. J'étais seul, loin au devant de mes amis, seul avec la mer et quelques autres téméraires. Tout pouvait m'arriver : je pouvais être happé par un requin et entraîné au loin, ou bien enlacé par une sirène, je ne serais pas consentant et ma compagne ne le verrait pas...
Mes pieds s'ancraient solidement au sable, avant la vague, pour pouvoir me retourner et produire la poussée nécessaire au surf. C'est alors que je sentis un corps me heurter par le côté, sous l'aisselle. Dans le coin de mon regard, j'eus la courte et intense vision d'un grand corps nu, rose, assez gras, et m'exclamai en sursautant : "Oh pardon mademoiselle !"
Mais ce corps ne fit pas de mouvement alerte pour se dégager comme l'eût fait une femme. Je venais de m'adresser sur le ton le plus embarrassé à une énorme méduse qui n'avait pu entendre l'expression de ma gêne toute galante et qui, poussée par l'eau mobile, appuyait sous mon aisselle de tout son brûlant et gluant élan !!!

Voici comment, par mes relations sensuelles avec deux des individus les plus fâcheux du règne animal, je fondai une mythologie minuscule que le grand Ovide lui-même eût gravée et animée de son style avec un plaisir entier si seulement cela lui avait été conté. Mais voilà, je l'écris avec mes moyens limités et je suis loin même de la petite renommée d'Apulée. Vous pouvez croire que cette histoire qui s'inscrivait dans une cosmogonie tout à fait originale est vouée à disparaître en quelques années...

(1) : apprécier la pensée toute kantienne même dans les moments les plus délicats

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