mardi 7 avril 2015

Les Contes de Bibi-Gol - 2 - Le Djinn du cartable - cinquième et dernière partie

Un vacarme de sirènes enfla bientôt. Autour de l’école, des ambulances et des camions de pompiers affluaient. C’est que, avec le bruit incroyable de l’éternuement du djinn et le toit envolé, on avait cru à un attentat terroriste.
« Attention, attention ! Place ! Place ! », criait une cohorte de pompiers.
Ils ouvrirent la porte et découvrirent des enfants sagement assis à leurs places, le visage blanchi de poussière et les yeux effarés.
« Y a-t-il des blessés ?!, demanda, inquiet, le capitaine des pompiers.
      Il y avait un méchant djinn, dit un enfant.
      Il s’est battu dans le ciel…, fit un autre.
  Les pauvres gosses, ils sont traumatisés… », marmonna-t-on.

L’après-midi même, dans un petit salon du ministère, juste à côté du bureau du père d’Ayoub, des inspecteurs de la police interrogèrent un à un les enfants. Ils voulaient savoir qui avait tenté de tuer le fils du ministre de l’armée et de la police.
Chaque enfant entrait dans le salon, seul, sans ses parents. Deux inspecteurs lui faisaient face. Sur le côté, le terrible père d’Ayoub, monsieur Makani, supervisait l’interrogatoire.
Après avoir entendu quelques enfants, les enquêteurs perdirent un peu leur calme parce que l’histoire de la gentille maîtresse et du méchant djinn ne leur plaisait pas… Ils crièrent d’une terrible façon pour faire peur aux enfants et leur faire avouer la vérité. Ils envisagèrent que les enfants eussent été hypnotisés par leur maîtresse, ou du moins convaincus de mentir. Alors, ce serait elle, l’agent terroriste. Un attentat commis par une femme étrangère… La main des services secrets d’un pays étranger… À quelques jours de l’anniversaire de la Révolution du Président ! Cela paraissait bien plus crédible que toutes ces sornettes magiques. Peut-être la maîtresse portait-elle le dispositif explosif sur elle et que c’est pour cela qu’elle avait disparu. Mais l’absence de sang, l’absence de victimes… Ces détails de l’enquête demeuraient incompréhensibles. Il fallait d’autres informations. Ils firent entrer un nouvel enfant. Quand il commença à leur parler du djinn combattant une magicienne dans le ciel, il reçut aussitôt quelques claques. Alors, il pleura beaucoup et ne parvint plus à dire autre chose. Monsieur Makani s’agaça et prit lui-même le garçon par le col avant de l’envoyer rouler dehors, dans le couloir.
Enfin, ils reçurent Ayoub. Il entra en serrant bien fort contre lui son cartable. Il était encore sous le choc de la scène inouïe qui s’était produite le matin même, au-dessus de la capitale. Son père lui demanda ce qu’il avait vu, en précisant que maintenant il était à l’abri, il ne craignait plus rien, il n’irait plus jamais à l’école, on lui donnerait un maître privé, ainsi sa sécurité serait garantie…
Ayoub dit exactement la même chose que les autres enfants, au grand désespoir de son père. Il expliqua toutes sortes de bizarreries supplémentaires concernant son cartable dans lequel se serait caché le djinn. Ces détails nouveaux et encore plus invraisemblables, sortis de la bouche du propre fils du ministre, plongèrent ces hommes si sérieux dans une gêne profonde.
Les enquêteurs s’étonnèrent à voix haute : « C’est étrange que tu sois le seul à penser que ce… djinn… était dans ton cartable. »
Ils prirent le sac des mains d’Ayoub et l’examinèrent soigneusement.

Les policiers croyaient en Dieu mais ne croyaient pas aux esprits — qui sont pourtant des échos de Son pouvoir.
Le djinn caché dans le cartable d’Ayoub était d’ailleurs un esprit maléfique d’une puissance et d’une astuce redoutables. Fereshteh la magicienne, aussi douée fût-elle, n’avait pu le vaincre… Elle croyait l’avoir affaibli avec sa poudre et l’avoir piégé dans la boîte en argent mais, en réalité, il n’avait pas quitté le cartable du fils du ministre. Le tourbillon magique était un simulacre, une diversion. Il avait bien fait de rester caché et d’envoyer cette copie de lui-même car les météores de cette magicienne l’auraient certainement anéanti. En y repensant, le djinn eut un petit frisson de peur.

« Qu’est-ce que c’est ? J’ai vu un truc bouger là-dedans ! », s’écria l’un des policiers, qui regardait au même moment l’intérieur du sac.
Il retourna le cartable d’Ayoub et le secoua. Des cahiers, une règle, une trousse et une ardoise tombèrent sur la moquette, une ombre aussi, qui fila tout droit vers un autre abri : la serviette du père d’Ayoub, monsieur le Ministre de l’armée et de la police.
« Non… J’ai dû rêver… », fit l’agent, dépité.

Ayoub retourna chez lui. Sa mère le retira de l’école et on lui donna un précepteur particulier. C’était un homme cultivé et un peu ennuyeux qui s’occupait de lui six heures par jour.
Lors de l’anniversaire de la Révolution du Président, le précepteur accompagna monsieur Makani et Ayoub au défilé militaire. Sur la grande avenue de la capitale, des centaines de chars et de camions lance-missiles roulaient au pas. À la tribune officielle, les grands hommes d’État se succédaient pour faire des discours. Vint le tour de monsieur Makani, ministre de l’Armée et de la Police.
Il se posta devant une belle rangée de micros, sous l’œil des caméras du monde entier et commença à délivrer son message : « Peuples du monde entier, chers peuples qui attendez une ère nouvelle, qui espérez une délivrance, une paix durable et bienfaisante, écoutez ! Écoutez ! Notre parole est pure et dépouillée du mensonge car nous parlons devant Dieu. Écoutez ! Nous disons As salâm pour vous saluer, ces mots sont des bons vœux de paix ! Islam, le nom lui-même de notre religion, veut dire la Paix ! … »
Et, au moment même où le ministre de l’Armée prononçait, pour une seconde fois, le mot « paix », toutes les rampes des camions lance-missiles se redressèrent, et, dans un funeste et formidable feu d’artifice, toutes les fusées s’élevèrent en rugissant, debout sur leurs longues flammes et leurs trainées de fumée noire. Toutes les énormes fusées des camions et tous les missiles cachés dans tout le pays s’échappèrent dans le ciel à la fois, se ruant sur d’autres pays paranoïaques, parés pour une riposte immédiate et cataclysmique.
Depuis la salle secrète du centre de commandement de l’Armée, le djinn du cartable poussait un rire démesuré, hilare et furieux comme un Diable.
Illustration pour la maquette de lance-missile "Scud" - Copyright Dragon Models